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NOTES D’UNE FRONDEUSE

— ce qui n’est pas encore mon cas… quoique doucement j’y arrive !

Mais si le magistrat d’occasion ou de carrière doit être impassible, impavide, le plaignant, lui, le victimé, a droit à la passion ; à la partialité ; à une opinion ; pourvu qu’il exprime le tout, devant le tribunal, en termes mesurés.

Or, moi, Monsieur, en même temps que panamiste, j’étais boulangiste. Cet aveu me nuira, je le sais, dans l’esprit de beaucoup de gens — aujourd’hui ! Peut-être même compromettra-t-il ma cause, et aidera-t-il corrupteurs et corrompus à s’en tirer presque indemnes ; tant l’aversion dont on nous poursuit égale le trac que l’on éprouva ! Mais enfin, cela a été, je n’y puis rien ; c’est vrai… et je ne m’en dédirais pas pour un dividende !

Mes quatre sous, le peu que les parents avaient laissé (ça eût bien tenu dans les deux mains !), arrondi par mon travail continuel et l’économie de la ménagère, tant qu’on n’eut pas d’enfants ; mes quatre sous, je les avais mis dans une entreprise qui m’enthousiasmait. Évidemment, on songeait au revenu promis ; n’étant pas assez riche pour s’en désintéresser ! Mais bien d’autres valeurs étrangères donnaient autant — et de suite — sinon plus.

Seulement, avec mes idées, quand ma femme en faisait l’observation, je répliquais : « L’argent gagné en France doit profiter à la France. » Il me semblait qu’à moi tout seul, je faisais bisquer le Foreing-Office ; et j’avais acheté une carte de Colombie sur laquelle, comme en temps de guerre, je piquais des petits drapeaux… tous tricolores, et tous allant de l’avant !

Conséquemment, ici, j’étais de la Ligue des Patriotes ; j’aimais mon Général ; j’espérais la revanche ; je criais : « À bas les voleurs ! » sous le poing des sergots, sous