Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
263
NOTES D’UNE FRONDEUSE

le nez des députés — et dire qu’on criait ça d’instinct, alors ! — enfin, je faisais tout ce qui concernait mon opinion. C’était notre droit, de ne pas trouver que tout marchait au mieux, autant que c’était le droit des autres de n’être point de notre avis.

Soudain, ça tourna. Boulanger fit des bêtises, se laissa rouler par les réacs. En même temps, des types survenus écartaient de lui les dévoués de la première heure ; le compromettaient ; l’engluaient. Bientôt, ils le vendirent, lui aussi ! Évidemment, tout le monde ne fit pas les Coulisses… mais que de défections, que de trahisons !

On nous hurlait aux oreilles : « D’où vient l’argent ? » et l’on en dépensait quatre fois plus, pour la riposte, que nous, pour l’agression. Car la foule, car la multitude était avec le Général ; il était idolâtré, suivi (il faut être bien naïf ou bien fourbe pour prétendre que les cent mille manifestants de la gare de Lyon étaient soudoyés !), tandis que la poignée de messieurs qu’on connaît aujourd’hui se débattait dans le vide, l’isolement, et l’impuissance !

Comment ont-ils triomphé alors ? Comment sont-ils parvenus à détourner ce grand courant populaire ; à jeter le doute dans les esprits ; à fomenter certains témoignages ; à provoquer certains reniements ; à acculer l’adversaire dans la fuite, l’exil, la défaite, et la mort ?

Oh ! c’est simple — Avec notre argent !

Nous, le petit monde, nous étions à la fois, pour la plupart, actionnaires de Panama et partisans de Boulanger ; or, les sous que nous donnions, pour assurer la retraite de nos vieux ans, on les employait à perpétrer l’avortement de nos jeunes espoirs ! On nous volait, ce qui est déjà dur ; mais, ce qui l’est plus encore,