Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

PANAMA

UNE CANTINIÈRE


Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle
Humait avidement ce chant vif et guerrier ;
Son œil parfois s’ouvrait comme l’œil d’un vieil aigle ;
Son front de marbre avait l’air fait pour le laurier.

… Elle ne ressemblait guère à cette héroïque image de Baudelaire, la petite vieille que j’ai trouvée, l’autre jour, en rentrant, assise en un coin de mon salon ; perdue dans les fumées du crépuscule comme, tant de fois, elle le fut dans la buée des champs de bataille.

Menue, modeste, ratatinée, sous sa robe noire élimée et rigide ainsi qu’un uniforme d’ancien, elle ne semblait guère plus grosse qu’un paquetage de cavalier, manteau compris. Cependant, je la distinguais mal, à travers l’ombre. Je fis craquer une allumette, le gaz flamba — et, me retournant, je demeurai éblouie !

Comme la Carabosse des contes qui, rejetant son manteau de sorcière, apparaît constellée d’escarboucles, la petite vieille luisait autant qu’un soleil. Sa jupe demeurait défraîchie et terne, et aussi le pauvre cha-