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NOTES D’UNE FRONDEUSE

peau, le casque de dentelles fanées qui coiffait en bataille ses cheveux trop noirs. Mais la chétive poitrine, la gorge réglementaire (on ne bombe pas dans le rang !) étincelait, irradiait ; pareille à quelque rabat de féerie ; à quelque plastron de gnôme ; au gilet de Monte-Christo !

Ce n’était pourtant que du métal… et du ruban. Seulement, du menton à la taille, pas un centimètre du corsage n’apparaissait. L’étoffe aurait pu être égratignée, arrachée, crevée, par les ongles méchants de la misère, que l’on n’en eût rien vu — à chaque accroc, la gloire ayant mis des pièces !

Elle y avait aussi accroché ses sequins, de module et de frappe divers ; et quand la petite vieille vint s’asseoir à l’angle de la cheminée, ils se heurtèrent en un cliquetis discret.

Alors, elle commença de parler racontant son histoire presque bas, d’une voix douce, comme enfantine, où vibraient cependant des fiertés. Et quand, l’interrompant, je lui demandai, avant toute chose, de me dénommer ses multiples décorations, le torse affaissé se redressa, le ton s’affermit, elle releva la tête, et faillit, Dieu me pardonne, porter la main au front.

— Qu’est ceci : la première, le ruban bleu liséré de jaune, et portrait de la reine Victoria ?

— 1855. Médaille de Crimée !

— La seconde : le ruban ponceau rayé de blanc, et portrait de Napoléon III ?

— 1859. Médaille d’Italie !

— La troisième : le ruban jaune bordé de vert, à même effigie !

— 1860. Médaille militaire !

— La quatrième : le ruban blanc estampé de l’aigle noir, et encore le profil impérial ?