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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Henriette Calvet y passa huit ans, huit années de dangers, de luttes, de cruelles alternatives ! Elle tenait le Restaurant du Canal, où mangeait presque tout le personnel français employé aux travaux ; et où s’approvisionnaient également beaucoup d’étrangers et d’indigènes. Pendant la quinzaine d’émeute qui suivit l’incendie de Colomb, l’ingénieur de la Compagnie lui ordonna de refuser des vivres à tous autres qu’à ses compatriotes ; car on craignait une sorte de blocus, l’affamement. Elle obéit militairement, malgré les injonctions, les menaces, les voies de fait — le risque de la vie !

J’ai là, entre les mains, deux certificats qui en témoignent. L’un, du 8 avril 1885, est signé d’un agent de la Compagnie : Lenoël ; l’autre, du 4 août 1887, émane d’un commissaire aux approvisionnements : Espaignet. Il est impossible de rendre plus chaleureux hommage à la vaillance, à la probité.

Quand la pacification fut complète (et comme, en plus, d’après réquisition des docteurs Sherry et Mérignac, le Restaurant du Canal avait du alimenter les malades de Gatun), Henriette Calvet présenta sa note : 69 piastres 75 pour l’hôpital ; 869 piastres 25 pour la nourriture fournie gratuitement aux employés, sur ordre supérieur, pendant la période d’insurrection.

La Compagnie refusa de payer.

Cependant, on offrit à madame Calvet une compensation : la location, pas cher, d’un beau terrain, où elle pourrait avec ses dernières ressources édifier un marché. Elle accepte ; paie mensuellement 15 piastres pendant treize mois ; fait élever la bâtisse… Le jour de l’ouverture, le gouvernement colombien intervient, s’oppose à l’exploitation, rappelant que son accord avec