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NOTES D’UNE FRONDEUSE

bottes étaient de Finlande ; et quand le manteau s’écarta, plus de brandebourgs qu’il n’en fut jamais sur la poitrine de Kossuth apparurent, zébrant le torse, comme des cordes de cithare !

Ah ! sapristi !… De ce cosmopolitisme somptuaire, quoiqu’une négligence générale l’adoucît, je demeurai bouche bée. Mais vite, la curiosité remplaça l’étonnement, devant ces yeux en vrille, petits ou grands, je n’en sais rien, mais d’une mobilité, d’un éclat, d’une vivacité presque insoutenable dans tout le poil environnant.

Ailleurs qu’à l’interlocuteur, ils ne perdaient ni un geste, ni un mot, allais-je dire, de tout ce qui se passait aux tables environnantes : fugaces, sagaces, fureteurs, sautillants, parmi la végétation faciale, comme feux follets dans les roseaux.

Alors, n’y tenant plus, devinant bien que celui-là était « quelqu’un », je me penchai vers Vallès, et, tout bas :

— Patron, qui est-ce ?

— C’est Pierre Denis.

— Le Pierre Denis du premier Cri du Peuple ?

— Oui.

— Le Pierre Denis de la Lettre au prince Jérôme ?

— Oui !

Et son âme d’admirable artiste, faisant craquer soudain l’écorce étroite du politicien : – Comme doctrinaire, je la blâme, sa lettre ; mais comme écrivain… ah ! nom de D…, c’était rudement beau !