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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Pourtant, ils ne se parlèrent pas ce soir-là ; ni les autres !

Vallès, comme tous les hommes de sa génération qui avaient souffert de l’Empire, plus emprisonnés dans le silence que les proscrits dans l’exil, gardait, envers la famille déchue, outre la rancune théorique, une sorte de rancune personnelle, bien légitime. Aussi, cette conception d’évoquer un Bonaparte (fût-ce Jérôme) contre l’imminente monarchie, le jetait en un désarroi furieux.

Et il lui en voulait d’autant qu’il l’appréciait davantage, ce camarade des mauvais jours, des heures de bataille ; polémiste, dialecticien, esprit absolument supérieur ; qui avait, dans le Cri du Peuple, émis l’idée, dressé le plan de Paris ville libre — qui avait aussi, au long du dernier feuillet, qui fut troué par les balles sur le cœur des vaincus, tracé le lapidaire article qui a pour titre : Consommatum est !

« Il faut que Denis s’explique, il le faut ! » écrivait-il, de Bruxelles, à Émile Gautier, quand celui-ci, en 1879, sous l’inspiration de Vallès, faisait, pour la troisième fois, reparaître la Rue.

Cette idée le hantait, que Denis était une des forces de la Révolution ; qu’il fallait dissiper le malentendu entre elle et lui, publiquement… afin que la cause pût de nouveau mettre à son acquit cette valeur ; ressaisir cette arme ; bénéficier de cette plume et de ce cerveau !

Étonnerais-je quelqu’un en affirmant que Vallès était seul, ou presque seul, à s’acharner dans cette voie ? Les chefs socialistes, d’intellect inférieur, pour la plupart, à Pierre Denis, le trouvaient bien en son ombre ; n’éprouvaient aucunement le besoin de l’en faire sor-