Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
NOTES D’UNE FRONDEUSE

Vous n’avez pas créé que cela, malheureusement pour vous, — et pour nous !

Vous demandiez l’autre jour ce que c’était que le bougangisme ?… Je viens de vous le dire, au point de vue chauvin ; je vais vous le dire maintenant au point de vue humain.

Le boulangisme, c’est le dégoût, non pas de la République, grand Dieu ! mais de « votre » république ; de la république telle que l’ont faite vos amis ; de ce régime bâtard, sans cœur et sans entrailles, qui, en dix-sept ans, n’a rien fait pour les pauvres, rien pour le peuple, rien pour ceux à qui il doit d’être tout !

Je ne dis point cela pour vous, monsieur, qui n’avez voulu rien être, et avez mené, à travers les tripotages, les intrigues et les vilenies de l’entourage, une existence digne du respect de tous.

Mais combien vous ont imité ?…

Et chaque fois qu’éclatait un scandale, chaque fois que se découvrait une ignominie, chaque fois qu’on envoyait mourir nos petits troupiers au bout du monde, pour la fortune de celui-ci ou l’ambition de celui-là, le scandale, l’ignominie, le crime, faisait des recrues pour la « boulange » — alors même que Boulanger était encore inconnu !

Il n’est pas donné à tout le monde d’être socialiste. Je n’hésite pas une minute à reconnaître qu’à l’heure actuelle nous sommes une infime minorité dans le pays : un groupe d’êtres conscients qui se heurtent, lamentablement, à l’indifférence ou l’inconscience des foules.

Tout ce qui souffre n’est pas avec nous, hélas ; sans quoi nous serions le nombre, c’est-à-dire la force. Il est un degré de misère où l’homme abdique son hu-