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NOTES D’UNE FRONDEUSE

matinal, au-dessus de l’Arc-de-Triomphe, à la fin de cette même nuit où votre astre sombra, dans le ciel éteint, au sommet du Père-Lachaise. Cette étoile-là, voyez-vous, n’est que l’étincelle de vos torches funéraires !

Et la foule ne comprend pas pourquoi, après avoir crié : « Vive César ! » vous criez : « À bas César ! » pourquoi, après avoir clamé : « Vive le grand Patriote ! » vous clamez : « À bas le grand Patriote ! »

Le populo est d’instinct moins complice ; il ne change pas, lui ; il garde ses méfiances ou ses amours. Et il ne vous écoute plus. Il se dit que vous avez mauvaise grâce à reprocher à celui-ci l’outrancier patriotisme qui édifia la gloire de celui-là. Il voit surgir le même Déroulède, les mêmes sociétés de gymnastique, la même Alsace et la même Lorraine fraternellement enlacées. Il entend crier : « Vive la République ! », ce qui le rassure ; il entend crier : « À bas Bismarckl ! », ce qui le réjouit.

Qu’y a-t-il de modifié, — sinon vous ? Est-ce parce que celui-ci est blond alors que l’autre était brun ? Est-ce parce que l’autre portait une redingote et que celui-ci porte la tunique de général ?

Ah ! c’est que je vais vous dire ! Les temps sont changés — ou mieux, les temps sont proches. La guerre, l’effroyable guerre, est là qui guette. Elle est passée, l’époque où l’on menait la nation à coups d’éloquence ; qui sait s’il ne faudra pas bientôt défendre la patrie à coups de canon ? C’est peut-être pour cela que celui-ci n’est pas un avocat, mais un soldat…

C’est pourquoi aussi vous avez mauvaise grâce, je le répète, à vouloir remonter ce courant que vous avez créé.