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NOTES D’UNE FRONDEUSE

ouverts, suivant quelque opération compliquée, ou tout bonnement ne pensant à rien, se leva d’un bond.

— Mes filles, regardez mes filles !

Il avait de quoi être fier, car ces jolies enfants, très modestes de ton et d’aspect, de tenue distinguée, de simplicité parfaite, eussent fait honneur à la plus correcte lignée.

Et, tandis que la cadette, élève du Conservatoire ainsi que sa sœur, pour la classe de violon, exécutait un adagio d’une subtile mélancolie, je regardais Arton. Sur sa face de struggler, distendue, estompée, une extase flottait, une buée légère voilait l’acier de ses prunelles…

Après la dernière note, quelqu’un lui frappa sur l’épaule. Il se retourna vivement, ayant repris son masque de bataille, impénétrable et sardonique. Son interlocuteur était un député ; c’est peut-être alors qu’il l’acheta !

Fastueux comme un fermier général, en ce temps d’universelle ladrerie ; apte aux métamorphoses ; adorant l’intrigue ; épris, comme un parvenu, de tout ce qui brille, scintille, reluit ; serviable, paraît-il, charitable, dit-on, il fut, il est, l’un des derniers aventuriers qui jetèrent un peu de pittoresque dans l’incommensurable ennui du vieux monde.

Que Mercure, dieu des financiers, soit propice à sa fuite ! Beaucoup en ont fait autant, qui sont aujourd’hui des patriarches vénérés ; mais nul n’apporta telle maëstria à sa besogne — sa bonne besogne de destruction !

Avec son cynisme, sa façon de dire : « Combien ? » devant tout obstacle ; de traiter les hommes par l’argent, et l’argent par le mépris ; il fut l’une des entéléchies les plus agissantes du cadavre social. Où il passa, la