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NOTES D’UNE FRONDEUSE

force armée vous appuie ; et la loi des majorités vous donne raison. Que sont ces gens-là, après tout ? Des insurgés ; des ouvrières ; un soldat qui fit peur ; une patricienne qui aima… On peut taper, gifler à tour de bras les faces pâles, les joues exsangues, où la trace des doigts marque bien l’outrage. Si ce sont des femmes, ça n’en est que plus rigolo !

Mais s’il s’agit d’un homme au pouvoir, d’un gros bonnet, d’un victorieux, peste, c’est bien une autre affaire ! Le respect vous gonfle, et vos glandes lacrymales sont soumises à une rude ponction ! Au cercueil, chamarré, galonné, et recouvert de tous les oripeaux qu’imagine la vanité humaine ; au cercueil, gardé par la police, la troupe, la gendarmerie, les municipaux, vous faites — ô vaillants jeunes gens ! — un rempart de vos poitrines.

« On n’y arrivera pas. Non, on n’y arrivera pas ! » Qui songe à y aller ? Qui songe à ramasser vos ordures sur les autres tombes pour les jeter au visage glacé de ce mort, qu’on regarde sans sympathie, mais sans haine ; et qui vous juge !

Avec vos poings crispés, vos thorax haletants, vos narines hennissantes, vous n’êtes pas héroïques, mes petits, vous êtes simplement ridicules, matamores que personne ne pense à attaquer !

Sans compter qu’au point de vue métier, permettez-moi de vous le dire, vous gaffez ! Il faut de la variété : la polémique n’est pas un concours de potaches. Rééditer le même article, presque, avec des signatures différentes, ce n’est pas de jeu !

La vérité, voyez-vous, c’est que nous n’avons pas la même âme… et j’ai l’orgueil de m’en féliciter ! Avec les humbles je suis toujours. Et même, parfois, les autres (Boulanger, tenez, que je n’avais pas revu