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NOTES D’UNE FRONDEUSE

quets ! Et nous allâmes jusqu’au cimetière d’Ivry, par la neige, dans le crépuscule, encadrés de force armée comme des malfaiteurs !

Les respectait-on, les petites mortes de Fourmies, « l’ouvrage » du jeune Isaac et du commandant Chapus ; ces enfants de quinze, seize, dix-huit ans… dont le Temps écrivit en toutes lettres que, somme toute, ce n’était pas une grande perte, plusieurs étant de mœurs légères ?

Les respectait-on (dans un tout autre ordre d’idées) cet homme et cette femme réfugiés aux bras l’un de l’autre, à Jersey d’abord, à Ixelles ensuite ? C’était une craintive et non une combative, celle-là ; rien qu’une faible amoureuse que poignardait l’insulte. On l’en cribla ; et quand elle en mourut, on en lapida sa couche funèbre ! N’en fut-il pas de même pour lui ? Désarma-t-on ? Faut-il que je ramasse à poignées, dans mes tiroirs, les articles ignobles, les charges infâmes qui s’abattirent sur sa mémoire ?

Et vous venez aujourd’hui invoquer le respect des morts ? Allons donc !

Ce respect-là, il est de deux sortes. On le doit aux vaincus — aux vrais — qu’elles qu’aient été leurs fautes, quels qu’aient été leurs crimes ; car je ne sais pas acte plus lâche que s’attaquer à un désarmé, à un isolé, à un être dont on ne redoute rien, puisqu’il est disparu, et que personne ne le défendra.

Ceux-là, vous les piétinez, vous les crossez sans réserve, ô singuliers respectueux ! Sur les écrasés des luttes politiques, sur les victimes des luttes sociales, vous vous acharnez sans trêve ni merci ; au delà, bien au delà du tombeau ! Le gouvernement vous sourit ; la