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NOTES D’UNE FRONDEUSE

je fus témoin de ses efforts pour arriver à la conquête d’un emploi ; et de ses désespoirs à n’y point réussir !

Enfant trouvé, placé par l’Assistance publique, ou orphelin si tôt qu’il n’avait gardé aucun souvenir des siens, il connut, pour toute parenté, le patronat ; gémit sous la trique ; fut nourri de croûtes, abreuvé d’eau claire… bourré de taloches ! Telle fut sa première éducation.

Plus tard, chétif, faiblot, il rencontra une gamine sans famille comme lui ; aussi maltraitée, aussi affamée, aussi bleuie de torgnoles, sous la tutelle bienveillante du maître. Et ces deux pâtiras unirent leur détresse, tombèrent, un soir de pleurs, aux bras l’un de l’autre.

Alors commença la vraie misère, le vrai supplice ! Ils tournèrent de ville en ville, frappant à toutes les portes, demandant de l’ouvrage. Partout, on les repoussait. Il faut des bras solides, à qui paie — et ils n’inspiraient pas confiance, l’air de mioches en rupture d’école, le teint en papier mâché.

Paris, aussi bien que la province, leur fut impitoyable. En ce temps, Soudey s’échinait à gagner quelques sous en trimardant, le soir, pour fournir aux exigences des placeurs… lesquels lui promettaient une bonne place ! Il leur passa des tas de quarante sous, gagnés, c’est bien le cas de le dire, à la sueur de son front ; en ouvrant des portières ; en passant des briques ; en déchargeant des légumes aux Halles. Et jamais, au grand jamais, la « bonne place » ne vint. On l’exploita, on le berna ; à la longue, il devint enragé !

C’était au moment où les ouvriers de l’Alimentation (vraiment plus à plaindre qu’on ne le suppose) s’insurgeaient contre les Shylocks de la traite des blancs. Et,