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NOTES D’UNE FRONDEUSE

blêmeur chaque jour accrue, aux insectes de la mine — tout blancs, parce qu’ils n’ont jamais vu la lumière.

Et une affreuse plaie de scrofule lui balafrait le cou, l’étranglait d’un collier de tumeurs !

Ah ! oui, pauvre être, qui s’est tué sans avoir connu jamais ni la santé ; ni la joie ; ni même la certitude, pour quelques jours, du pain quotidien ! Je ne le plains pas (il se repose !) mais j’ai l’âme poignée de songer à ce destin, auquel tant sont pareils !

Las, à bout de ressources et de courage, Édouard Soudey s’en est allé à la Seine : asile gratuit et toujours accueillant aux désespérés. Pour la première fois de sa vie, peut-être, il a trouvé bon lit, bon gîte, et le sommeil sans rêves ; pour la première fois, depuis sa petite enfance, il s’est senti bercé, dorloté, cajolé par le flot… emporté doucement vers le bon pays de toute miséricorde et de toute rédemption.

Et les journaux enregistrent, avec quelques commentaires défavorables, la mort de l’ « agitateur » Soudey, l’anarchiste, l’émeutier. D’aucuns ne disent pas, mais cela se devine : « Bon débarras ! »

Pour lui, oui ! Car je sais peu de calvaires aussi rudes, dans l’existence ouvrière, que celui que gravit ce malheureux ; si débile, si hanté de rêves d’affranchissement !

Comment eût-il pu demeurer neutre, alors qu’il fut élevé sous les coups ; grandit dans la crainte ; vécut dans l’éternelle malechance ? Et ce n’était ni un paresseux, ni un lâche — il ne boudait pas plus à la besogne, qu’à la révolte ! Comme on lui refusait l’une (il avait dirigé le mouvement contre les bureaux de placement, ces sangsues du travailleur !), il s’adonnait à l’autre. Mais