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NOTES D’UNE FRONDEUSE

rictus de piège masque (et trahit !) les sourdes colères.

Dans les prunelles des pauvres, se lève une aube de joie, d’espérance encore mal éveillée, de fraternité éperdue… ce qui doit irradier de la face du condamné auquel on apporte sa grâce, alors qu’il se prépare à l’échafaud !

Ce peuple vibre, invoque, appelle, en proie à une géante curiosité, à une immense angoisse, l’âme aimantée vers un pôle inconnu…

Qui donc s’annonce à l’horizon ? Qui donc la destinée amène-t-elle par la main — comme une reine, en pays non salique, présente son époux à ses sujets ? Depuis qu’à Jérusalem, un humble, sur un âne, fit son entrée, parmi l’épanouissement des roses ; l’envolée des myrtes ; la palpitation des palmes ; jamais humains ne languirent d’une attente si passionnée, ne frissonnèrent d’un si fougueux désir !

Mais voyez ! À force de le contempler, cet horizon hypnotisant, cet interrogatif céleste que la terre ponctue, voici que les brumes s’assemblent ; les hachures d’ombre se rejoignent ; prennent une forme ; prennent un sens…

Qui est cet être-là ; sans visage, sans mains, sans pieds ; diaphane ; à peine estompé dans le brouillard ? Il est sans regard, étant sans yeux ; sans voix, étant sans lèvres ; sans geste, étant sans bras — et une fascination, un commandement, une infinie puissance émane de son néant !

Autour de lui, flotte un costume aussi vague que lui-même, d’époque indistincte, de caractère imprécis. Ce chapeau, où la fumée des plumes ondule en souples anneaux, est-ce celui du Béarnais ; du Roi-Soleil ; d’un Conventionnel aux armées ; de Bonaparte, le jour du