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NOTES D’UNE FRONDEUSE

l’on apprend à juger le présent, à déchiffrer l’avenir.

Que nous enseignent les leçons du passé ?… Elles nous disent que seuls restent debout, dans la postérité, les penseurs ou les pensées proscrites ; qu’aux époques barbares le bûcher a été immuablement le piédestal de toutes les figures symbolisant une théorie, une foi nouvelle — qui renaissaient des cendres, et s’élançaient d’un coup d’aile, phénix merveilleux, en pleine lumière, en plein azur !

Ce sont les Césars qui ont fait le Christianisme, c’est l’Inquisition qui a fait les Juifs, c’est la Saint-Barthélemy qui a fait les protestants ! Ils existaient avant, certes — ils n’ont eu de force cependant que le jour où leur sang a coulé pour la première fois.

Et sans aller chercher si loin, voyez combien cela est juste pour nous autres. Si l’on avait laissé se développer librement, se discuter sagement les doctrines nouvelles, auraient-elles la vitalité qu’elles ont aujourd’hui ? Si le Prolétariat n’avait pas eu ses hécatombes et ses martyrs, ses captifs et ses exilés, l’Idée sociale aurait-elle cette envergure et cette puissance ?…

Non !

La persécution n’a jamais que grandi ceux qu’elle a atteints. Voilà pourquoi l’événement d’hier est la dernière des sottises ; pourquoi nous devons garder une rancune profonde à ceux qui ont compliqué encore une situation déjà suffisamment menaçante ; pourquoi nous n’aurons pas assez de reproches pour des gouvernants à qui on ne demanderait même pas d’être un peu moins malhonnêtes s’ils étaient seulement tant soit moins idiots.

Non, mais les voyez-vous, ces gens qui, sous prétexte qu’un homme captive trop l’attention publique, trouvent moyen, dans notre France généreuse, d’ajouter à son prestige l’auréole de la persécution !…