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NOTES D’UNE FRONDEUSE

le premier chapitre des Misérables, en parlant du forçat libéré Jean Valjean.

Il est sous la surveillance de la haute police militaire — sinon de la haute police civile — ; il n’aura pas d’autre résidence que celle qui lui sera assignée par les « autorités » ; il devra y justifier de sa présence à toute réquisition, n’en pourra sortir, fût-ce pour un jour, qu’avec un permis motivé ; et, là uniquement, recevra les quelques subsides qui lui sont alloués. C’est le passeport jaune imposé à un général français.

C’est davantage.

C’est la mesure vile qui frappe non seulement l’honneur, mais la bourse ; qui rogne les trois cinquièmes du traitement ; qui enlève un plat à la table et une bûche à l’âtre.

Nous ne sommes pas pour les généraux, ici, il s’en faut ! Mais le peuple a cela de grand, que, s’il foudroie parfois, il n’humilie jamais. Il supprime l’adversaire, il ne lui inflige pas de supplices mesquins. C’est pourquoi seul il fait et défait les hommes, et tient les popularités les plus ailées, comme des oiseaux frêles, dans sa large main.

Mais ces gouvernants !

lis n’ont pas le courage du crime — qui a un résultat, au moins, et une consécration. Ils n’ont que les petites férocités de la peur, les lâchetés minuscules qui, nuisant à qui les commet, servent qui les subit.

Le pauvre triomphe ! Voilà tout ce qu’ils ont trouvé, nos maîtres : cette dégradation déguisée, et ce râclage de solde, pour tuer un élan populaire !

Est-ce que l’interdiction a jamais tué quelque chose ? Est-ce que la persécution a jamais étranglé une idée, étouffé un dogme ?

Il fait bon parfois regarder en arrière : c’est ainsi que