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NOTES D’UNE FRONDEUSE

treize sous ou un revolver en zinc qui lui éclatera dans les doigts.

Il ratera son coup ; et, s’il n’est pas écrasé sur place par la foule — qui n’attendra pas, elle, qu’il soit prisonnier ! — la police le recueillera. Et le gouvernement n’aura qu’une idée : étouffer l’affaire. Et ceux-là qui seront les commanditaires moraux de l’attentat se dégageront bien vite et bien haut :

— A-t-on jamais vu ! Est-ce que j’en suis ? Ah ! bien, si on prend tout au sérieux, maintenant !…

Ne les prends pas au sérieux, pauvre « quelqu’un » que je devine dans la foule ! Après avoir été la victime des avocats, ne sois pas la victime des rhéteurs. Dis-toi que, s’ils pensaient vraiment ce qu’ils écrivent, ils ne l’écriraient pas — ils le feraient !

Vois ces fameux héros de Rome, au niveau desquels leur âme, disent-ils, aspire à s’élever. C’est sa main que Mucius Scævola a mise sur le bûcher ; c’est sa personne que Décius a jetée dans le gouffre ! Que resterait-il de leur gloire ; si Scævola avait offert à la flamme le poing d’un licteur ; si Décius avait précipité à l’abîme un de ses cavaliers ?

Pourquoi donc te dévouerais-tu, toi, éternelle dupe, qui, le lendemain, seras renié par leur peur ou par leur dédain — par leur souci, en tout cas, de se dérober aux missions génantes ?

Voilà ce qui t’attend, mon ami « quelqu’un », si tu les écoutes, les prôneurs d’assassinats ! Crois-moi, va, ne leur sers ni de jouet, ni d’instrument ! S’ils trouvent leur avis si bon, qu’ils le suivent ; et que pour une fois, bon Dieu ! les conseilleurs soient enfin les payeurs.

Ce que le général peut dormir tranquille !…