Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
NOTES D’UNE FRONDEUSE

un flot gris de visages ternes qui, peu à peu, envahit les gradins. On se salue, on cause de ses petites affaires ; chacun s’informe comment vont « la dame et les demoiselles » de l’interlocuteur ; on se montre, parfois, les emplettes que l’on a faites en venant.

Quelqu’un lit n’importe quoi, à la tribune : le public regarde, ahuri de ce brouhaha qui évoque non point l’éveil de la ruche quand s’allume l’aube, mais le vol des hannetons quand s’éteint le soleil.

Il y a, là-dedans, vingt figures connues sur six cents anonymes, vingt personnalités parmi six cents individus. Et ce que ces vingt-là ont l’air d’en avoir trop !…

Tout à coup, un silence. D’un seul mouvement, la Chambre a fait volte-face. Puis, comme furieuse de cette attention qu’on lui arrache, de cette surprise de curiosité, elle reprend brutalement ses dialogues ou ses occupations.

En un mot, elle fait « celle qui ne veut pas avoir l’air ».

Mais le diapason des voix s’est accru, les gestes sont fiévreux ; il y a, sous les paupières, des lueurs mauvaises, cette gêne vague des gens qui aimeraient mieux regarder ailleurs, et qui mâtent leur désir sous leur volonté.

Que s’est-il donc passé ?…

Rien — un homme est entré.

De taille moyenne, plutôt grand, l’allure pesante du cavalier, les épaules très larges, comme fatiguées par un invisible joug, le député du Nord, Georges Bou-