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NOTES D’UNE FRONDEUSE

nous faire casser la tête pour une Assemblée qui nous a traités plus cruellement que ne le pourra jamais faire tel despote que ce soit. »

Elle répondit à Hugo, par la bouche d’une vieille femme, aïeule d’un fusillé ou d’un déporté : « Les Vingt-cinq francs sont à bas ? Tant mieux ! »

Elle répondit à Jules Vallès et à ses amis — la jeunesse des écoles d’alors — par la voix d’un ouvrier qu’ils invitaient à les suivre : « Jeune bourgeois, est-ce votre père ou votre oncle qui nous a exécutés en Juin ? »

Elle répondit à Esquiros : « Que voulez-vous que nous fassions ? Vous nous avez désarmés ; il n’y a plus un fusil dans tout le faubourg ! »

Elle répondit à Baudin : « Est-ce que vous croyez que nous voulons nous faire tuer pour vous conserver vos vingt-cinq francs ? »

Baudin répliqua :

— Vous allez voir comment on meurt pour vingt-cinq francs.

Et quand il l’eut montré, le peuple, après avoir salué le cadavre, comme il salue toujours les êtres héroïques, rassujettit sa casquette pour regarder moqueusement défiler ses maîtres de la veille, encadrés de gendarmes.

Toute une matinée, les « chands de vins » des environs de Mazas gagnèrent un argent fou : on allait voir entrer les députés !

Pauvre Baudin ! Il méritait mieux que cela,

Sa vie fut d’un simple ; sa fin, d’un convaincu. Et il est de ces martyrs — rares ! — dans le passé desquels on peut fouiller sans y découvrir l’ombre d’une défaillance, la trace d’une douteuse action.