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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Rien moins que riche, il ne chercha la fortune dans aucune véreuse entreprise. Il avait été un étudiant probe, modeste, se suffisant de peu, ne dépensant guère que pour ses livres ; élu, il resta le même, et fut (cela se passait en 1851) un député honnête.

Il fut aussi le médecin des pauvres. Tout ce que le quartier Poissonnière comptait d’indigents fut soigné, médicamenté, et consolé, par ce singulier praticien qui, ayant une situation à conquérir, faisait passer la clientèle gratuite avant la clientèle payante.

D’ailleurs, comme dévouement, il avait déjà fait ses preuves.

On l’avait vu, en 1832, à l’hôpital militaire de Toulon se consacrer au service des cholériques, et lutter contre le fléau avec une indicible énergie, On l’avait vu à Paris, après l’opération de la trachéotomie, pratiquée par lui sur un enfant atteint du croup, se pencher vers le petit martyr et sucer la plaie jusqu’à épuisement du mal.

C’était donc vraiment une âme d’élite, ce Baudin, et, comme telle, prédestinée à tous les mécomptes et à toutes les immolations.

Orateur parlementaire, il croyait à ce qu’il disait. Quand, par hasard, un de ces sincères s’égare dans les Assemblées, il est le sacrifié marqué d’avance pour le couteau ou la balle de l’expiation.

Il semblerait que, pour racheter ces péchés du monde politique qui s’appellent le mensonge, le parjure, la trahison, la prévarication, et la simonie, il faille quelqu’un de très pur, un être tout de loyauté, fait de franchise et d’oubli de soi-même, un cœur plein de flamme, un esprit plein de clarté…

Le suaire de Baudin a voilé, pour ceux de ma génération, les turpitudes de ses collègues ; les palinodies de ces bonzes que l’Empire mit dedans, et