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NOTES D’UNE FRONDEUSE

ami. Delescluze, lui, découvrit la sépulture abandonnée au cimetière Montmartre, y prononça les premières paroles de respect et de reconnaissance, et ouvrit dans son journal, Le Réveil, la souscription destinée au monument.

Ces deux hommes tiennent donc, par mille liens, au camarade de combat qu’ils ont voulu défendre, au mausolée qu’ils ont fait élever.

Et cependant, si leurs ombres pouvaient revenir, sentinelles attristées, faire faction de chaque côté du fictif trophée que l’on élève, ils verraient défiler côte à côte, la main dans la main, les députés qui, de Ver- sailles, ont ordonné leur exécution, et ce parti ouvrier qui, si longtemps, s’est réclamé de leur mémoire.

Delescluze — les historiens les moins suspects de sympathie envers l’insurrection l’ont dit — a été le Baudin de la Commune ; un Baudin plus âpre, plus découragé, parce qu’il était plus vieux et qu’il avait vu de plus effroyables choses. Il s’est fait tuer autant par dégoût que par désespoir ; et les adversaires les plus ardents du mouvement communaliste ont gardé du respect, devant le cadavre de ce haut vieillard dont le visage fracassé gardait encore, aux lèvres, un pli d’amertume.

Eh ! bien, si Delescluze revenait et rencontrait dans la rue un « prétorien » de 51 et un « versaillais » de 71, un invalide et une vieille brisque, bras dessus, bras dessous, il pencherait vers eux sa tête blanche et dirait :

— Toi, tu as tué Baudin ! Toi, tu m’as tué !… Je vous estime, soldats impassibles, instruments de la discipline. Vous nous avez tiré dessus… mais vous ne nous avez pas trahis !

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