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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Millière et Delescluze !

Ce sont ceux-là qui seraient en droit de se plaindre aujourd’hui ! Pendant dix-sept ans, il n’avait été question que d’eux, dans les meetings, au Père-Lachaise, dans toutes les réunions révolutionnaires.

Or, voici qu’en vue d’un intérêt électoral, se forme le cercle d’études de l’Assiette au beurre, et que l’on pique dans la motte, comme une statuette de saint sur un gâteau de fête, l’image de Baudin. Autour, pêle-même, radicaux, opportunistes, socialistes de gouvernement, trinquent et toastent à la santé du martyr, sorti pour un jour de l’armoire aux oubliettes, et que, n’ayez peur, on y refourra demain,

Ils feraient peut-être bien de regarder contre quel verre leur verre se choque, avant de boire ! Les « politiciens » sont sans vergogne — chacun sait ça ! Mais les amis du peuple, les désintéressés, les purs ?…

Je ne sais pas trop où ils ont la têle, ceux-là ; ou, pour mieux dire, je ne le sais que trop.

D’ailleurs, cette pauvre tombe a le monopole des apothéoses bizarres, pleines de surprises et pleines de sursaut.

Hier soir, je parcourais la liste des souscripteurs qui ont aidé à l’élever, et je constatais que le plus clair de cette manifestation nationale était ceci : que la moitié de cette liste républicaine avait fait fusiller l’autre moitié, trois ans juste après cet acte de fraternité.

Ce n’est pas tout.

J’ai prononcé ci-dessus les noms de Millière et de Delescluze : j’y reviens.

Millière — c’est Hugo qui nous l’apprend — faillit mourir au 2 Décembre comme Baudin, son aîné et son