Page:Séverine - Notes d'une frondeuse, 1894.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
NOTES D’UNE FRONDEUSE

cils — ce n’est pas le siècle dont vous êtes le fils, et dont il vous plaît de masquer les défaillances ; ce n’est pas le régime républicain, sur les fautes duquel vous êtes prêt à étendre le bouclier de votre invulnérable probité.

Non… L’être pochard et avili qui est vautré sur ce tas d’ordures, c’est la plus antique, la plus dégradée, la plus repoussante des femelles : c’est l'immonde Politique, goujate blasée qui veut tâter de l’honnête homme.

Pour Dieu ! ne lâchez pas votre manteau ! Ce n’est point Noé, c’est Putiphar — une Putiphar de ruisseau, ignoble et sordide, qui fera de votre robuste honneur une loque déshonorée !

Oh ! non, n’acceptez point cette déchéance, de devenir un politicien !

En écrivant ceci, je sais à quoi je m’expose. Les uns trouveront que je vous ai trop loué — une maladresse ! Les autres crieront que j’ai voulu vous détourner de la lutte — un calcul !

Mais comme j’ai la chance d’être une indépendante ; de garder, envers tous, cette liberté charmante et farouche qui me préserve de m’enrôler chez personne ; d’être, en cette lutte des partis, une sorte de cantinière gaie et frondeuse qui verse l’espoir ou la colère où il lui plaît ; je ne vois vraiment pas ce qui me gênerait aujourd’hui pour faire couler ma pensée à pleins bords.

Ce n’est pas que ma pensée, d’ailleurs, c’est l’opinion d’un tas de jeunes avec lesquels, l’autre jour, je causais de vous, à la Renaissance, et qui, les yeux tournés vers votre loge, me contaient leur chagrin.

Nous avons plébiscité — ma foi oui ! plébiscité — sur