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NOTES D’UNE FRONDEUSE

À ce Hugo dont l’œuvre est pleine des cris et des sanglots de l’humanité, ils font un enterrement d’impassible. C’est beau comme la Vénus de Milo, et sans âme — comme elle !

Pourtant il a chanté la France, celui-là aussi, pourtant il a célébré la Patrie, ses triomphes et ses joies, ses désastres et ses douleurs !…

— Oh ! mais, on a permis à la patrie de se souvenir ! répond quelqu’un à qui je fais part de mes réflexions. On a donné la meilleure place à la Ligue des Patriotes. Et, tenez, la voici.

Je regarde, le sourcil un peu froncé. Elle a fait pas mal de bêtises contre les idées et les êtres que j’aime, cette association-là, depuis deux ans ; et son chauvinisme breveté est pour exaspérer les moins irascibles.

Cependant, au nom seul de Déroulède, mes rancunes s’envolent comme un essaim de moineaux ayant affronté le cerisier. Il les épouvante joyeusement !

L’ennui, au fond, c’est que le gouvernement les aime tant, lui et sa Ligue ! Je serais bien plus de leur bord, si les ministres en étaient moins !

…Derrière Déroulède, se tenant par le bras sur toute la largeur de la chaussée, des hommes, des femmes, jusqu’à des enfants.

C’est du « petit monde », diraient des notables. Du petit monde, oui, vêtu modestement, mais soigneusement ; du petit monde dont les vêtements noirs font ressortir, par-ci, par-là, des pommettes saillantes, un teint rose comme du lard frais, des cheveux couleur de choucroute, et des yeux de myosotis, pas grands, mais de regard si bon ! Du petit monde qui marche au pas militaire, tout droit : « Une, deux ! Une, deux ! », comme si la grille du Panthéon était la frontière et