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NOTES D’UNE FRONDEUSE

cérémonies, d’exclure qui bon lui semble, de n’admettre que qui lui plaît.

Quelques cercles trop républicains devaient venir avec des bannières rouges : ordre est donné de les prier de se retirer ; au besoin, de les y contraindre.

On peut être sûr que la fête se passera entre gens comme il faut, et « bien pensants » selon la doctrine démocratique, et pas sociale, des maîtres de la troisième République.

Je me retire une seconde du balcon que nous occupons, à l’angle de la rue Le Goff et de la rue Soufflot. La tête me tourne et j’ai la vue perdue à regarder ce spectacle. C’est magique, c’est inouï, c’est fou !…

Pas les gens, oh ! non ! mais les fleurs ! Je ne me rappelle pas en avoir jamais tant vu !

À mesure que les couronnes arrivent, on les dépose sur les marches du Panthéon. D’ici, on les entrevoit confusément ; mais la marée chatoyante et embaumée des corolles noie déjà le perron et envahit le péristyle. Les fleurs expirent, étouffées par d’autres fleurs, et leur râle flotte dans l’air saturé de parfums. On se sent soi-même étourdi et comme grisé par cette orgie d’odeurs, douces ou violentes, qui montent de la terre au ciel.

Le sol est jonché de pétales roses, comme le tour des cathédrales après le passage du dais sous lequel flamboie l’ostensoir.

Mais, ici, la foi manque. Il gênait leur médiocrité à tous, ce génie merveilleux ; il tenait trop de place dans l’histoire ; sans en convenir, chacun de ceux-là pense qu’il est parti à temps pour laisser aux survivants quelques miettes du siècle à grignoter.