Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/101

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


n’y aurait pas eu à compter sur la discrétion de Bussy ; mais il faut lui rendre cette justice qu’il ne cacha pas non plus le bon témoignage, quoique ce fût dans le temps de sa grande brouillerie avec madame de Sévigné. Il le lui rappelait plus tard, lorsque, rentré en grâce, le temps des explications fut venu. « Vous étiez en Bretagne, lui écrivait-il ; nous étions brouillés : je pouvois, sans passer pour emporté, mêler mon prétendu ressentiment avec le déchaînement de vos envieux ; je ne sais pas même si vous ne vous y attendiez point ; cependant je fis le contraire ; et bien loin de craindre d’en être ridicule, je me trouvai le cœur bien fait en cette rencontre[1]. » Il prit en effet partout la défense de madame de Sévigné, jusqu’à se quereller assez vivement avec son beau-frère de Bouville, qui la mettait au nombre des maîtresses de Fouquet. Bouville s’étonnait de tant de vivacité à la justifier, et disait à Bussy qu’après avoir fait tant de bruit contre elle, ce n’était pas à lui à se faire son avocat. « Je n’aime pas le bruit, lui répondit Bussy, si je ne le fais[2]. »

Quelque mal que Fouquet eût, sans le vouloir, fait à madame de Sévigné par le malheureux désordre de ses papiers, elle n’en resta pas moins fidèle à son infortune : fidélité touchante dont sa mémoire a reçu le prix. Une amitié qui faillit un moment coûter si cher à sa réputation n’a laissé pour la postérité qu’un monument de la générosité de son cœur. Les lettres à Pomponne sur le procès de Fouquet seront toujours au premier rang parmi celles qui la font aimer. Elles ont la valeur d’un précieux document historique, d’un modèle de récit, clair, vif, simple, ému, et d’une bonne action. Il y eut du courage à les écrire, parce qu’elle ne savait pas si elles seraient rendues sûrement[3]. À l’époque où le surintendant, après trois ans de détention sans jugement, comparut devant la chambre de justice de l’Arsenal, Pomponne, suspect comme tous les amis de Fouquet, était exilé dans ses terres. Madame de Sévigné, qui était à Paris et pouvait suivre de près tous les incidents du procès, se chargea de les lui raconter

  1. Lettre du 9 juin 1663.
  2. Mémoires de Bussy, tome II, p. 114.
  3. Lettre de madame de Sévigné à Pomponne, du 17 novembre 1664.