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NOTICE BIOGRAPHIQUE


grande, mais la dureté l’est encore plus. Ne trouvez-vous point que c’est entreprendre bien des choses à la fois[1] ? » Cette réduction des rentes, ordonnée par Colbert en 1664, paraît avoir causé un grave préjudice à la fortune de madame de Sévigné. Mais alors occupée surtout des périls de son ami, « ce qui me touche le plus, disait-elle, n’est pas ce qui me fait perdre une partie de mon bien[2]. »

Dans la vive amitié d’une jeune femme pour un homme épris d’elle, il y a toujours, avoué ou non, un peu d’amour. Le malheur d’un ami qu’elle plaignait et ne craignait plus, en exaltant la sensibilité de madame de Sévigné et la dispensant d’une surveillance sévère sur son cœur, lui révéla, ce semble, à elle-même quelque chose de ce secret. C’est dans les lettres à Pomponne que Fouquet, s’il les avait pu lire, aurait trouvé les billets doux qu’il n’eut jamais dans ses cassettes. Telle était, et nous ne nous en étonnons pas, l’impression que Napoléon avait reçue de la lecture de ces lettres. « En lisant, dit Mémorial de Sainte-Hélène[3], le procès de Fouquet (dans les Lettres de madame de Sévigné), il remarquait que l’intérêt de madame de Sévigné était bien chaud, bien vif, bien tendre pour de la simple amitié. » On pourrait, il est vrai, répondre qu’il y a souvent des symptômes qui trompent ; que pouvons-nous penser néanmoins en lisant ce passage où madame de Sévigné raconte qu’elle a été, dans une maison voisine de l’Arsenal, voir, cachée sous le masque, le surintendant qui revenait de la chambre de justice ? « Quand je l’ai aperçu, le cœur m’a battu si fort que je n’en pouvois plus... Il nous a saluées et a pris cette mine riante que vous lui connoissez. Je ne crois pas qu’il m’ait reconnue, mais je vous avoue que j’ai été étrangement saisie, quand je l’ai vu entrer par cette petite porte. Si vous saviez combien on est malheureux quand on a le cœur fait comme je l’ai, je suis assurée que vous auriez pitié de moi. » Et quelle expression de joie, lorsque le malheureux a la vie sauve ! « De longtemps je ne serai remise de la joie que j’eus hier, tout de bon elle est trop complète ; j’avois peine à la contenir. » De tout cela , encore une fois, que pouvons-nous pen-

  1. Lettre à Pomponne, du 1er décembre 1664.
  2. Ibid.
  3. Tome II, p. 294.