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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


prit si riche et si divers de madame de Sévigné qui n’a jamais brillé plus vivement que dans ces joutes piquantes avec son spirituel cousin. « Ils avoient le don, comme elle l’a dit elle-même, de s’entendre avant d’avoir parlé. » C’était avec lui qu’elle pouvait se livrer à « ses meilleurs épanouissements de rate, » avec lui surtout qu’elle pouvait rire finement. Par l’agrément, par l’élégante netteté de son style, il lui faisait goûter, dans ses lettres, un plaisir délicat. Elle l’aimait, non pas avec les plus tendres sentiments de son cœur, mais un peu rustaudement, suivant son expression ; toutefois, elle l’aimait. Il y eut tout à coup entre ces deux Rabutin, nés l’un pour l’autre, comme disait un de leurs amis, une grande rupture qui fit cesser un si agréable commerce, pendant quatre années d’abord, puis, un peu plus tard, la blessure un moment fermée s’étant rouverte, pendant deux autres années encore.

Au mois de mai 1658, Bussy, qui se préparait à rejoindre Turenne à l’armée de Flandre, fut, au moment de son entrée en campagne, dans un grand embarras d’argent, et ne trouva personne qui lui en voulut prêter. Il pensa que madame de Sévigné lui rendrait ce service. Elle venait, ainsi que lui, d’hériter de dix mille écus, qui étaient leur part à chacun dans la succession de l’évêque de Chalon, Jacques de Neuchèze. Bussy envoya demander à sa cousine de lui avancer mille pistoles sur cette succession[1]. Elle parut très-disposée à lui faire ce plaisir. Mais, dans ses affaires d’argent, elle avait un conseil. C’était le bon homme Coulanges, qui n’était pas d’avis qu’on prêtât de l’argent, même à des cousins, sans de solides garanties, qui n’aimait pas Bussy, et se défiait d’un joueur et d’un prodigue. D’après son avis, il fut répondu à l’emprunteur qu’il y avait préalablement des éclaircissements nécessaires à prendre en Bourgogne. Ce n’était qu’un ajournement ; Bussy le regarda comme un refus déguisé. Et puis il n’avait pas le temps d’attendre. L’impatience le prit ; il recourut à madame de Montglas, qui, pour lui prêter deux mille écus, engagea ses diamants. Il partit alors pour l’armée, plein de ressentiment contre madame de Sévigné. « Il y a des gens, écrivait-il peu de temps après, qui ne mettent que les choses saintes pour

  1. Mémoires de Bussy, tome II, p. 52.