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NOTICE BIOGRAPHIQUE


bornes à leur amitié, et qui feroient tout pour leurs amis, à la réserve d’offenser Dieu ; ces gens-là s’appellent amis jusqu’aux autels. L’amitié de madame de Sévigné à d’autres limites. Cette belle n’est amie que jusqu’à la bourse[1]. » Il ne faut pas dissimuler que peut-être, en cette circonstance, madame de Sévigné déféra trop aux avis d’un calculateur sans doute très-prudent ; mais, en amitié, il faut être imprudent quelquefois. Il y a cependant ici quelque excuse. Coulanges, quoique la somme ne fût pas énorme, put représenter à sa pupille qu’il était de son devoir de ménager, en bonne mère de famille, la fortune de ses enfants. Ce fut pour eux, comme elle le prouva en se dépouillant pour les établir, ce fut pour eux surtout qu’elle géra toujours ses biens avec une attention et un ordre qui ne doivent raisonnablement lui rien faire perdre de son charme et de sa bonne grâce. L’avarice seule, et non l’économie, serait une dissonance chez une aimable femme d’un si délicat esprit. Madame de Sévigné a dit que « l’avarice étoit sa bête, et qu’elle seroit bien fâchée de faire tout ce qu’elle faisoit, pour avoir de l’argent de reste ; mais qu’elle alloit sans honte et sans crainte dans le chemin de la sainte économie[2]. » Elle se flattait d’avoir beaucoup d’éloignement pour une vilaine passion, qu’elle appelait une frénésie de l’esprit humain[3]. Toute sa vie, bien examinée, confirme le témoignage qu’elle s’est rendu. Il nous semble que toute la noblesse de sentiments à laquelle prétendent les prodigues, gens souvent fort égoïstes, pâlit à côté de ces touchantes paroles, écrites un an seulement avant sa mort, et qui sont comme son testament économique : « Je mourrai sans aucun argent comptant, mais aussi sans dettes ; c’est tout ce que je demande à Dieu, et c’est assez pour une chrétienne[4]. »

Voulût-on même admettre que Bussy ait eu quelque raison de se plaindre, il ne tarda pas à mettre les torts de son côté par une vengeance indigne d’un galant homme. L’année suivante, pendant la semaine sainte de 1659, se trouvant chez Vivonne,

  1. Histoire amoureuse des Gaules, tome II des Mémoires, p. 427.
  2. Lettre à madame de Grignan, du 24 juillet 1689.
  3. Lettre à madame de Coulanges, du 3 février 1695.
  4. Lettre à M. de Coulanges, de la même date.