Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


la défaite. L’homme à qui l’on écrit : Je vous donnerois un beau soufflet, si j’avois l’honneur d’être auprès de vous, et que vous me vinssiez conter ces lanternes, » a une belle occasion de plier le genou sans honte, et n’a plus qu’à baiser la main si gentiment levée sur lui. Bussy, qui n’était pas sot, fit sa soumission cette fois, et vit bien le ton qu’il fallait prendre. « Je vous ai demandé la vie, dit-il, vous me voulez tuer à terre, et cela est un peu inhumain... Cessez, petite brutale, de vouloir souffleter un homme qui se jette à vos pieds, qui vous avoue sa faute, et qui vous prie de lui pardonner. Si vous n’êtes pas encore contente des termes dont je me sers en cette rencontre, envoyez-moi un modèle de la satisfaction que vous souhaitez, et je vous la renverrai écrite et signée de ma main, contre-signée d’un secrétaire et scellée du sceau de mes armes[1]. » Madame de Sévigné savait les règles du duel entre gens d’honneur. « Levez-vous, comte, lui cria-t-elle, je ne veux pas vous tuer à terre ; ou reprenez votre épée, pour recommencer le combat. Mais il vaut mieux que je vous donne la vie, et que nous vivions en paix... Présentement que je vous ai battu, je dirai partout que vous êtes le plus brave homme de France, et je conterai notre combat le jour que je parlerai des combats singuliers[2]. » Bussy, qu’abreuvaient toutes les amertumes de l’ambition trompée, et qu’à peu près personne n’aimait ni ne plaignait, eut, nous en sommes persuadé, depuis cette époque, et dans son cruel isolement, une amitié plus sérieuse et plus profonde pour sa cousine. La vertu et la bonté finissent par toucher les âmes les moins délicates, surtout quand ces âmes souffrent. Son goût pour madame de Sévigné avait toujours été très-vif. Où aurait-il trouvé, avec tous les agréments d’une jolie femme, un esprit si charmant ? Mais il reconnaissait enfin que le cœur de son aimable cousine valait son esprit. À un amour très-mêlé de fatuité et d’intentions libertines succéda une tendre estime. Dans cette disposition nouvelle, il eut souvent besoin de patience. Il restait toujours quelque chose de son péché originel, Les vieux griefs se réveillaient de temps en temps, malgré l’amnistie. Un jour, c’étaient des lettres que madame de Sévigné retrouvait, et dans lesquelles Bussy l’avait autrefois remerciée

  1. Lettre du 31 août 1668.
  2. Lettre du 4 septembre 1668.