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NOTICE BIOGRAPHIQUE


touchée, qu’il était sorti de prison[1]. Quel qu’ait été celui qui fit les premiers pas, l’honneur est à l’offensée, qui pardonna. Depuis ce moment les anciennes relations amicales furent renouées. et cette fois solidement, quoiqu’au fond moins intimes et moins confiantes. Dès le mois de novembre 1666, nous trouvons le commerce de lettres rétabli entre madame de Sévigné et Bussy, qui était alors en Bourgogne, où le 10 août précédent, délivré enfin de sa captivité, il avait reçu la permission d’aller prendre l’air[2]. Toutefois madame de Sévigné, aussi malicieuse que bonne, en disant à son cousin : « Je te pardonne, » avait sans doute ajouté tout bas : « mais tu le payeras. » Elle laissa d’abord languir un peu la correspondance, puis déclara la guerre, en 1668, par quelques allusions piquantes aux trahisons de Bussy. Ce n’étaient que les premières escarmouches. Bussy essaya une apologie modeste, appuyée de beaucoup de protestations de tendresse. Mais il ne pouvait en être quitte à si bon marché. Madame de Sévigné réfuta vivement ses excuses, et lui promit, s’il osait répondre, qu’elle ne cesserait de verbaliser et de l’accabler sous ses répliques, ses dupliques, ses tripliques. Elle exigeait qu’il se rendît à merci, qu’il demandât la vie[3]. Bussy chercha à se défendre encore. Il prétendait ne pas crier miséricorde ; mais il tendait la branche d’olivier et demandait que, les frais compensés, le procès n’allât pas plus loin. Ce n’était pas le compte de la redoutable partie à qui il avait affaire. En vain il voulait lâcher pied : elle le retenait sur le terrain et redoublait l’attaque avec une vigueur nouvelle. Jamais on ne vit plus brillante escrime. Le jeu du chevalier félon était habile et fin ; mais celui de sa belle ennemie avait une légèreté, une ardeur, une vaillance qui le déconcertaient. Généreuse cependant, elle sentit qu’avec un criminel déjà pardonné, avec un homme malheureux d’ailleurs et qu’accablaient la disgrâce et l’exil, il fallait vaincre sans blesser ; et tout à coup, au milieu du combat, prenant tous les avantages de la femme, comme si elle n’avait pas eu sur son adversaire d’autre supériorité, elle lui sauva l’humiliation de

  1. Lettre à Bussy, 28 août 1668.
  2. Mémoires de Bussy, tome II, p. 292.
  3. Lettre du 26 juillet 1668