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NOTICE BIOGRAPHIQUE


semblaient pas à lui-même d’un homme trop enrouillé : « Je crois, mon cousin, lui dit-elle, que vous n’avez pas attendu ma réponse pour être assuré de mon approbation sur les jolis ouvrages que vous m’avez envoyés : la vôtre vous répondoit de la mienne[1]. » Bussy aimait à mettre madame de Sévigné en train de malice contre le prochain ; mais il se trouvait quelquefois, sans qu’il le voulût, que ce prochain-là, c’était lui-même.

Le sentiment tendre, profond, passionné, que ni Bussy ni d’autres adorateurs qui ont été plus près que lui de toucher le cœur de madame de Sévigné, n’avaient réussi à faire naître en elle cette flamme qui tout au moins se cachait ou faute d’aliments, ou étouffée par une courageuse volonté, ne se révéla, nous l’avons déjà dit, que dans l’amour maternel. Pour lui emprunter à elle-même ses propres expressions, cet amour fut « l’unique passion de son cœur, le plaisir et la douleur de sa vie. » On peut ajouter qu’il fut sa plus touchante vertu et sa plus grande faiblesse, l’excès qu’on doit reprendre en elle et ce qui la fait le mieux aimer. Jusqu’ici nous ne l’avons encore montrée que femme spirituelle, séduisante, courtisée : ce n’est pas la moitié de ce qu’elle fut. Il est temps de la faire connaître comme mère. Cessons un moment de la chercher au milieu de ce monde qui lui plaisait et qu’elle charmait, pour la voir près de ses enfants, près de sa fille surtout, objet de sa prédilection.

On ne pense jamais à madame de Sévigné et à ses deux jeunes enfants sans avoir devant les yeux le gracieux tableau des Mémoires de l’abbé Arnauld, frère d’Arnauld de Pomponne : « Il me semble que je la vois encore telle qu’elle me parut la première fois que j’eus l’honneur de la voir, arrivant dans le fond de son carrosse tout ouvert, au milieu de monsieur son fils et de mademoiselle sa fille : tous trois tels que les poètes représentent Latone, au milieu du jeune Apollon et de la petite Diane, tant il éclatoit d’agréments et de beauté dans la mère et dans les enfants. » Le lieu de la scène est clairement indiqué par toute la suite du récit de l’abbé Arnauld. Ce carrosse de Latone entrait ce jour-là chez Renaud de Sévigné. Ce fut

  1. Lettre du 12 avril 1692.