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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


trop approché son vilain visage de celui de sa petite camarade[1]. Dans cette scène, où la faible mère n’intervint que pour excuser la faute en plaisantant, la hautaine comtesse se montre déjà ; et nous voudrions qu’il eût pu venir à la mémoire de madame de Sévigné des souvenirs plus aimables de l’enfance d’une fille si chère.

Madame de Grignan, un jour qu’elle reconnaissait le mal que lui faisaient ses défauts, écrivait à sa mère « qu’elle l’avait mal élevée. » — « Vous avez raison, » lui répondait madame de Sévigné[2]. Quoique, de part et d’autre, il n’y eût en apparence qu’un badinage, toutes deux devaient sentir la vérité, l’une de son reproche, l’autre de son aveu. Mal élever, le mot cependant est peut-être bien dur. Si nous ne l’avions trouvé dans une lettre de madame de Sévigné, nous ne l’aurions pas hasardé. Nous aurions seulement dit qu’une éducation à laquelle les plus tendres soins furent prodigués, ne réussit complétement qu’à orner de connaissances, de talents et d’agréments très-prisés dans le monde un enfant gâté. Tout en ne visant pas ici au panégyriqne, ce n’est pas sans crainte qu’on touche d’une main sévère à cette faiblesse maternelle, qui, dans son excès même, conserve quelque chose de touchant, et qui fut si éloquente. Mais plus on respecte le plus saint des sentiments, plus on souffre impatiemment qu’il se trompe ; et, devant cette erreur qui coûta bien des larmes à madame de Sévigné, il faut s’efforcer de ne pas aimer l’éloquence au point de dire : heureuse faute !

Mademoiselle de Sévigné avait seize ans, lorsqu’elle parut à la cour. Sa beauté était éblouissante. Blonde comme sa mère, elle avait la même fleur de teint ; sa bouche était petite, fine, parfaite[3] ; son nez était plus régulier que celui de sa mère. Sa taille était fort élégante. Il paraît que dans sa première enfance elle avait un peu louché. C’est madame de la Fayette qui le dit : « Ma petite-fille est louche comme un chien, il n’importe :

  1. Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, 26 juillet 1671.
  2. Lettre du 17 janvier 1680.
  3. Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, 13 décembre 1671 et 29 janvier 1672.