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NOTICE BIOGRAPHIQUE


de cette fille en lui gagnant de plus en plus l’affection de son mari ; et pour cela elle exalte celle que sa femme a pour lui. Tout ce qu’elle fait pour que sa tendresse maternelle ne porte pas ombrage à son gendre, et pour lui persuader que c’est lui qui est le plus aimé, est d’une grande adresse, et ce qui vaut mieux encore, d’une délicatesse admirable. « Est-ce qu’en vérité je ne vous ai pas donné la plus jolie femme du monde ? Peut-on être plus honnête, plus régulière ? peut-on vous aimer plus tendrement ?... peut-on souhaiter plus passionnément d’être avec vous ?... Elle se plaint encore tous les jours qu’on l’a retenue ici, et dit tout sérieusement que cela est bien cruel de l’avoir séparée de vous. Il semble que ce soit par plaisir que nous vous ayons mis à deux cents lieues d’elle[1]. » C’est ainsi qu’elle se fait pardonner la très-belle part qu’elle entend bien garder dans le cœur de sa fille, en ayant l’air de se la faire modeste. Elle veut de plus que le comte sache qu’aussi bien que madame de Grignan, elle-même l’aime tendrement. Il n’y a pas de douceurs qu’elle ne lui dise pour son compte, comme pour celui de sa fille. Elle mêle les unes et les autres avec la plus séduisante amabilité : « Elle a été au désespoir que vous m’ayez écrit ; je n’ai jamais vu une femme si jalouse ni si envieuse. Elle a beau faire, je la défie d’empêcher notre amitié. » Nous recommandons à ceux qui publient des Lettres choisies de madame de Sévigné ces lettres à M. de Grignan, pour en faire un petit recueil à l’usage des belles-mères.

Le 15 novembre 1670, madame de Grignan accoucha à Paris d’une fille, qui fut baptisée sous les noms de Marie-Blanche. Madame de Sévigné la garda près d’elle, quand la mère partit pour la Provence. On voit par une lettre du 24 février 1673, qu’elle ne l’avait pas alors renvoyée encore à madame de Grignan. Elle éleva sa première enfance avec la plus grande sollicitude et la nomma toujours ses petites entrailles. S’il n’eût tenu qu’à elle, Marie-Blanche eût été heureuse.

Après la naissance de cette fille, madame de Grignan n’avait plus aucune raison qui pût longtemps la retenir loin de son mari. Son départ avait été fixé au 10 janvier 1671. De grandes pluies, le mauvais état des routes, la convenance qu’il y avait à ne pas

  1. Lettre à M. de Grignan, 6 août 1670.