partir seule et à attendre qu’elle pût être accompagnée par le
coadjuteur d’Arles, ce beau-frère qu’on appelait Seigneur Corbeau, la firent demeurer quelques jours de plus auprès de sa
mère. Madame de Sévigné était-elle bien sincère, lorsqu’elle
écrivait alors au comte de Grignan : « Je veux vous dire que
je ne sens point le plaisir de l’avoir présentement ? » nous ne
savons ; mais la charmante lettre dans laquelle elle explique ce
retard est si ingénieuse et si féconde dans le développement des
excuses, qu’elle fait penser à ces amoureux qui jurent leurs
grands dieux qu’ils ont la plus grande envie de s’éloigner, qui
le croient peut-être eux-mêmes, et trouvent toujours quelque
bonne raison de ne point partir.
La séparation cependant ne se pouvait beaucoup différer. Le triste moment vint enfin. C’était le 5 février 1671. Madame de Sévigné, tout en pleurs, tenait sa fille embrassée, « sans savoir, dit-elle, ce qn’elle faisait. » Un des plus fidèles amis de madame de Sévigné était là, qui attendait madame de Grignan pour l’emmener dans son carrosse. Il assistait, plein de pitié, à ces adieux déchirants. C’était le bon, l’officieux d’Hacqueville, cet homme qui se multipliait tellement pour le service de ses amis, qu’il était devenu plusieurs d’Hacqueville, et qu’on l’appelait les d’Hacqueville. Il fut toujours très-cher à madame de Sévigné, comme le confident le plus attentif et le plus indulgent de sa passion maternelle, celui qui entrait le mieux dans ses sentiments et dans ses peines, qui courait avec le plus d’empressement pour chercher partout des nouvelles de madame de Grignan, si par malheur la poste était en retard. On aimait « ce trésor de bonté, d’amitié, de capacité, » tout en se permettant quelquefois de rire de son zèle infatigable, furieux. C’était d’ailleurs un homme obligeant, non pas un complaisant. Il était le contraire du flatteur, dont l’âme est sèche, le visage caressant et les paroles mielleuses. Sa raison droite jusqu’à la roideur, et la dureté de son esprit cachaient sa tendresse et sa sensibilité. Il n’était pas le plus éloquent ni le plus amusant des correspondants de madame de Sévigné. Eût-il eu beaucoup d’agrément dans l’esprit, il aurait bien eu le temps vraiment de le montrer, quand il succombait sous la multitude de lettres que le soin des intérêts de tout le monde lui faisait écrire ! Il fallait bien, en faveur de son dévouement toujours prêt, lui