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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.

Dès que madame de Sévigné s’était vue loin de sa fille, elle avait résolu de traverser la France pour aller la retrouver. Les premières lettres qu’elle lui écrivit sont déjà pleines de ce projet. Jusqu’au mois de juillet 1672, où il put enfin s’exécuter, elle ne cessa de lui répéter qu’elle ne songeait qu’à la rejoindre.

Tandis qu’elle attendait qu’il lui fût permis de le faire, une occasion parut s’offrir de faire cesser pour toujours une douloureuse séparation. On disait le maréchal de Bellefonds, premier maître d’hôtel du roi, disposé à se défaire de sa charge de cour. M. de Grignan eut la pensée de la demander ; madame de Grignan fut d’un avis contraire. À cette occasion, sa mère lui écrivit : « Votre grande paresse de ne vouloir pas seulement penser à sortir un moment d’où vous êtes, me blesse le cœur... Vous avez une vertu sévère, qui n’entre point dans la foiblesse humaine[1]. » En mettant à part le bonheur d’être auprès d’une si tendre mère, il faut reconnaître que madame de Grignan pouvait avoir raison de préférer à un emploi de cour un gouvernement où l’on pouvait servir activement et déployer des talents politiques. Elle sentait tout le charme d’être reine de Provence.

Ce n’était pas cependant une royauté facile et commode, une couronne sans épines. Le rôle ingrat d’agent d’une politique despotique, arbitraire et fiscale, qui mécontentait la province et violait ses droits, des rivalités puissantes, une lutte d’influence, et avec cela des embarras personnels d’argent : voilà, en abrégé, ce que M. de Grignan trouva d’abord dans son gouvernement.

Quand il arriva en Provence, l’autorité y était entre les mains de Henri de Forbin Meynier, baron d’Oppède, premier président du parlement, et de l’évêque de Marseille Forbin Janson. Cette autorité qu’on avait dû leur abandonner, en l’absence du duc de Vendôme et du comte de Merinville, cessait de droit à l’arrivée du nouveau lieutenant général. Mais de fait, les Forbin restaient puissants. L’évêque de Marseille surtout était fort gênant pour M. de Grignan. Il avait une grande influence dans l’assemblée des communautés, c’est-à-dire

  1. Lettres du 27 et 29 janvier 1672.