Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
NOTICE BIOGRAPHIQUE


dans les états de Provence, où il avait su se faire aimer. En même temps, il s’était rendu utile au pouvoir royal ; on savait qu’il dirigeait à son gré l’assemblée. Colbert le soutenait de toute sa puissance. Il était d’ailleurs aussi vénérable par ses vertus qu’habile à gagner les cœurs, d’un esprit juste et fin, et consommé dans les affaires[1]. Le comte de Grignan, dès qu’il prit possession de son autorité, fut extrêmement offusqué par l’importance et le crédit de l’évêque. Avant même l’arrivée de madame de Grignan en Provence, madame de Sévigné, qui avait déjà su gagner la confiance de son gendre, commença à lui donner d’utiles conseils. Avec son esprit sage et conciliant, elle lui écrivit pour le calmer et pour le mettre en garde contre les manières des provinces, « où l’on prend plaisir à nourrir les divisions[2]. » On est vraiment étonné de voir une femme qui n’aurait dû, ce semble, connaître du monde que les plaisirs frivoles ou les agréables récréations de l’esprit, une femme trop simple et trop aimable pour afficher aucune prétention messéante de régenter des hommes publics, tracer à un gouverneur de province, à l’aide des seules lumières de son bon sens et des inspirations de son amour maternel, des règles parfaites de conduite avec les personnes, lui dire si bien par quels ménagements on les gagne, comment on les engage dans de bons sentiments, en ne leur en supposant pas trop aisément de contraires, et avec une justesse de coup d’œil que les politiques de profession l’ont pas toujours, reconnaître et signaler les écueils de la défiance et des préventions. Jamais elle ne donna lieu à M. de Grignan de trouver qu’elle s’ingérât indiscrètement dans ses affaires ; mais il apprécia ses bons avis, donnés sans pédanterie, et, comme elle disait, sans faire l’entendue. Ses intérêts furent avec un zèle infatigable défendus par elle à Paris, particulièrement auprès de M. de Pomponne, cet ancien et fidèle ami, devenu secrétaire d’État en 1671. Aussi M. de Grignan la nommait-il son petit ministres,[3] et se reconnaissait-il si redevable à ses conseils et à ses actives démarches, qu’elle était

  1. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome X, p. 367.
  2. Lettre du 28 novembre 1670.
  3. Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan du 19 février 1672.