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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.

Ces quatorze mois où la mère et la fille, vivant l’une près de l’autre, et n’ayant pas à s’écrire, nous ont en quelque sorte exclus de leur intimité, nous laissent le loisir de songer un peu aux amis de madame de Sévigné, aux correspondants pour qui sa plume infatigable trouvait encore du temps, même lorsqu’elle écrivait sans cesse à sa fille, enfin à tout ce qui, dans sa vie, ne se rapportait pas directement à son plus cher souci. Il est vrai que presque toute sa correspondance avec ses amis nous manque, perte bien regrettable et qu’il faut regarder comme définitive, bien qu’on puisse faire encore quelques découvertes partielles. Cependant quelques-unes des lettres qu’elle leur écrivait ont échappé à la destruction ; on a plusieurs de celles qu’elle recevait d’eux, et de précieuses traces de ses amitiés subsistent dans ses lettres à sa fille.

Dans le temps que nous venons de parcourir, depuis le départ de madame de Grignan pour la Provence, une des maisons où elle était reçue le plus souvent et le plus familièrement était celle où, le jour même de cette séparation, elle alla pleurer près de deux amis, la maison de madame de la Fayette. Là, ou bien encore chez M. de la Rochefoucauld (c’est tout un, c’est toujours son cher faubourg), elle trouvait une grande complaisance pour ses sentiments, ou plutôt une sympathie sincère, beaucoup d’amitié et d’admiration pour madame de Grignan, un solide attachement pour elle-même surtout, et en même temps tous les plaisirs de l’esprit, les entretiens les plus fins et les plus agréables, quoique la mauvaise santé de l’un et de l’autre ami en altérât un peu la gaieté. La liaison de madame de la Fayette et de madame de Sévigné était ancienne. Madame de Sévigné, lorsqu’elle perdit son amie en 1693, faisait remonter cette liaison à quarante ans[1] ; ce qui nous reporte à peu près au temps où Renaud de Sévigné épousa madame de la Vergne, et jusqu’à la première jeunesse de madame de la Fayette. Pendant tant d’années, jamais, au témoignage de madame de Sévigné, le moindre nuage dans leur amitié. Vive de part et d’autre, cette amitié fut plus vive encore du côté de madame de la Fayette, si elle a eu raison d’écrire à madame de Sévigné : « Résolvez-vous, ma belle, à me voir soutenir, toute ma vie, à la pointe de mon

  1. Lettre à madame de Guitaut, 3 juin 1693.