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NOTICE BIOGRAPHIQUE


éloquence, que je vous aime encore plus que vous ne m’aimez[1]. » Le dernier et court billet que l’on a d’elle à son amie, finit par ces mots touchants, qui sont comme un suprême adieu : « Croyez, ma très-chère, que vous êtes la personne du monde que j’ai le plus véritablement aimée[2]. » Nous ne savons si, en y réfléchissant, elle eût excepté M. de la Rochefoucauld, ou si elle pensait que cela se sous-entendait naturellement. En tout cas, de telles paroles ont une signification toute particulière, écrites par une femme toujours mesurée dans l’expression de ses sentiments et qu’on a caractérisée en disant qu’elle était vraie. À cette déclaration d’amitié sans égale madame de Sévigné n’aurait pas pu répondre tout à fait dans les mêmes termes, mais peu s’en faut. « Madame de la Fayette, écrivait-elle à sa fille, vous cède sans difficulté la première place auprès de moi... Cette justice la rend digne de la seconde. Elle l’a aussi[3]. » Il semble que cette affection réciproque, dont le témoignage émeut encore l’indifférente postérité, aurait dû rendre madame de la Fayette très-chère à madame de Grignan. Il n’en fut rien. Elle se refusa toujours à cette amitié, comme l’attestent plusieurs passages des lettres du baron de Sévigné et de sa mère. Madame de Sévigné fut obligée quelquefois de se plaindre. « Vous êtes toujours bien méchante, disait-elle à sa fille, quand vous parlez de madame de la Fayette[4]. » Elle ne pouvait la décider à lui écrire, quand il s’agissait de la complimenter dans une extrême affliction[5]. Ce n’est malheureusement pas le seul exemple d’une vive amitié de sa mère, pour laquelle madame de Grignan ait été non-seulement froide, mais sans égards. Le cardinal de Retz, qui ne négligea rien cependant pour se faire aimer d’elle, qui se plaisait à l’appeler sa chère nièce, et voulait lui laisser tous ses biens, ne rencontra jamais que son aversion, et madame de Sévigné perdait son temps à lui écrire : « J’ai une si grande amitié pour cette chère Éminence, que je serois inconsolable que vous voulussiez lui faire le mal de lui refuser la vôtre[6]. »

  1. Lettre du 14 juillet 1673.
  2. Lettre du 24 janvier 1692.
  3. Lettre du 29 avril 1671.
  4. Lettre du 6 novembre 1675.
  5. Lettres du 17 et du 20 mars 1680.
  6. Lettre du 7 juillet 1677.