lui raconte une conversation chez Gourville, ou l’on chercha
quels sont ceux qui ont plus ou moins d’esprit que de goût : il
fut décidé que madame de Sévigné avait le goût au-dessous
de son esprit, madame de la Fayette aussi, mais pas tant. Elle
rit un peu, et avec raison, de ces subtilités. Il est possible
toutefois qu’il s’y trouvât quelque vérité ; ce qui n’empêche
pas que madame de la Fayette avait bien de l’esprit, et madame de Sévigné bien du goût. En somme, elles se ressemblaient
assez pour s’aimer, et différaient assez pour s’aimer encore
davantage. On n’a surtout point de peine à se représenter combien cette humeur douce, enjouée, rieuse de madame de Sévigné devait charmer madame de la Fayette, attristée par de
longues souffrances, à côté d’un ami non moins souffrant
qu’elle, et qui ne riait, comme il l’avouait lui-même, que
trois ou quatre fois en trois ou quatre ans. Dans son portrait de madame de Sévigné, madame de la Fayette lui disait :
« La joie est l’état naturel de votre âme. » Cette joie, que madame de Sévigné conserva toujours aussi vive que dans sa jeunesse, devait être rafraîchissante pour un cœur à qui l’auteur
des Maximes ne pouvait pas, en vérité, faire le même bien.
L’intimité de madame de Sévigné avec madame de la Fayette entraînait nécessairement une grande liaison avec M. de la Rochefoucauld. Elle allait souvent passer les soirées chez lui, où elle trouvait Segrais et madame de la Fayette. Elle y prenait plaisir avec eux à quelque agréable lecture, aux fables de la Fontaine par exemple, qui étaient dans toute leur nouveauté et que ces esprits délicats goûtaient si bien, aimant d’ailleurs la personne du poëte qui avait célébré mademoiselle de Sévigné et le livre des Maximes. Elle y entendait lire aussi et discutait, avec ses amis, ces fameuses Maximes, dont quelques-unes lui semblaient divines, mais dont elle avait le bonheur et le bon esprit, elle qui croyait aux nobles sentiments, de ne pas comprendre quelques autres. Elle y parlait beaucoup de madame de Grignan, montrait quelquefois des passages de ses lettres, et datait les réponses qu’elle y faisait du cabinet de M, de la Rochefoucauld. Au milieu de ses accès très-fréquents de mélancolie et de ses cruelles douleurs de goutte, la Rochefoucauld devait trouver la plus douce distraction dans la société de madame de Sévigné, lui qui n’était, comme il l’a dit dans