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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.

Les lettres que nous avons de madame de la Fayette à madame de Sévigné n’ont pas l’heureuse abondance de celles de son amie, ni leur grâce si féminine, ni leur verve pleine d’imagination. Elles sont courtes généralement : elle aimait peu à écrire. « Le goût d’écrire, disait-elle à madame de Sévigné, vous dure encore pour tout le monde ; il m’est passé pour tout le monde ; et si j’avois un amant qui voulût de mes lettres tous les matins, je romprois avec lui[1]. » On voit le contraste des deux esprits et des deux caractères. Est-il besoin de dire que ces lettres de l’auteur de la Princesse de Clèves sont d’ailleurs élégantes dans leur simplicité et d’un fin atticisme ? Leur brièveté a quelque chose de noble ; leur sobriété n’est point de la sécheresse, comme leur franchise n’est pas de la dureté ; elles sont charmantes à lire à côté de celles de madame de Sévigné, parce qu’elles en font singulièrement ressortir les riches couleurs, de même que brille la fraîcheur vive d’un teint éblouissant à côté d’un visage d’une pâleur distinguée. Pour quelques personnes cependant il pourrait, nous le croyons, se mêler, dans cette comparaison, quelques impressions moins favorables à madame de Sévigné. À force de dédaigner l’art, madame de la Fayette leur découvrirait qu’il y en a beaucoup chez son amie ; surtout son ton ferme et décidé, sa sincérité un peu tranchante, quelque chose de fier dans l’accent, leur ferait mieux voir que le caractère de madame de Sévigné était quelquefois trop facile et son amabilité trop étendue. Mais n’oublions pas combien il y a de naturel dans l’art de madame de Sévigné, d’honnêteté dans sa coquetterie et de bonté véritable dans la complaisance, trop vaste peut-être, de son cœur.

Ces deux illustres femmes avaient certainement reçu de la nature des dons différents ; mais si l’on voulait trop marquer ces différences, on ne ferait qu’un parallèle forcé, comme tant d’autres, et à fausses antithèses. Madame de Sévigné s’inclinait devant la divine raison de son amie ; mais elle-même, sa faiblesse de mère exceptée, qu’avait-elle à envier à la raison des autres ? La sienne n’était-elle point divine aussi, quoique parée de toutes les grâces d’une imagination plus vive et plus riante ? Madame de la Fayette, dans une lettre à madame de Sévigné,

  1. Lettre du 30 juin 1673.