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NOTICE BIOGRAPHIQUE


affligée. Lorsque madame de Sévigné la trouve, suivant son habitude, peu gracieuse pour elle, il lui semble « qu’elle devroit espérer un traitement plus doux, quand ce ne seroit que pour avoir enfanté l’aimable madame de Grignan. »

En dépit de la rudesse de ce fagot d’épines, madame de Sévigné est remplie d’attentions pour elle. Elle l’emmène à Livry ; et quoique cette triste compagnie lui gâte un peu sa chère solitude, elle se dévoue à la soigner et à la calmer. « Quand nous ne serions pas aussi proches que nous sommes, écrit-elle à sa fille, et que le temps (la lettre est datée d’une des grandes fêtes de l’Église) et le christianisme ne donneroient point l’envie de la secourir, faudroit-il autre chose que de savoir que cela vous plaît[1] ? » À Paris, elle la fait loger chez elle, à son hôtel de Carnavalet, et l’installe dans la petite chambre de sa fille absente[2]. À force de bonté, elle réussit quelquefois à desserrer ce cœur si farouche ; et dans la joie de ce succès, elle se rend à elle-même ce témoignage bien juste : « Je crois, en vérité, que personne n’a plus de facilité que moi dans le commerce de la vie civile[3]. »

Presque tous les amis de madame de Sévigné, dont nous venons de parler, étaient du plus grand monde. Chez le cardinal de Retz, avant sa retraite, au faubourg, à l’Arsenal, c’est-à-dire chez le grand maître, au Luxembourg enfin, elle voyait habituellement ce que la cour et la ville avaient de plus considérable. Elle allait aussi à Saint-Germain, où elle recevait l’accueil le plus flatteur. Chacun s’y empressait de lui parler de sa fille, sachant bien qu’il n’y avait point de politesse qui la touchât davantage. C’étaient M. de Montausier, le maréchal de Bellefonds, M. de Charost, M. et madame de Duras, madame de Ludres, et tutti quanti. C’était aussi Mademoiselle, enfin la reine elle-même, qui lui adressait toutes sortes de questions sur la belle Provençale, et le Dauphin qui lui donnait un baiser pour elle[4]. Naturellement elle revenait charmée ; mais on l’a crue quelquefois plus éblouie qu’elle ne l’était de cette gloire de

  1. Lettre du 1er novembre 1679.
  2. Lettre à madame de Grignan 26 avril 1680.
  3. Lettre à madame de Grignan 5 novembre 1680.
  4. Lettre à madame de Grignan 1er avril et 22 avril 167&.