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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


Madame de la Troche, dont le mari, de la maison de Savonière, en Anjou, était conseiller au parlement de Rennes, fut certainement une des personnes qui aima le plus madame de Sévigné. Elle ne se crut pas toujours assez payée de retour. Il est vrai que son amitié était exigeante. Madame de la Fayette, le cher faubourg, lui donnaient de l’ombrage. Son orageuse affection était bien près quelquefois de faire perdre patience à madame de Sévigné ; mais la pauvre Trochanire (c’est le nom familier que madame de Sévigné lui donnait} finissait par se calmer, et, après des tempêtes d’humeur, revenait tendrement à son amie, qui, l’aimant avec beaucoup plus de tranquillité, ne sentait pas très-vivement ses offenses, et pardonnait sans peine à son repentir. Madame de Sévigné reconnaissait d’ailleurs qu’elle était la bonté même, et méritait qu’on l’appelât « la femelle de d’Hacqueville. » On ne pouvait rien dire de plus fort pour exprimer l’étendue de son obligeance. Quoiqu’il paraisse avoir manqué quelque chose à la sympathie de madame de Sévigné pour elle, ou que du moins il n’y eût pas des deux côtés le même degré de chaleur, une grande preuve qu’elle était touchée de tant d’amitié, c’est qu’au lendemain d’un de ces cruels départs de sa fille pour la Provence, c’était chez elle, comme autrefois chez madame de la Fayette, qu’elle allait se faire plaindre et chercher quelques consolations[1].

Il était bien plus difficile et plus méritoire pour madame de Sévigné d’être toujours indulgente pour mademoiselle de Méri, sa cousine, sœur de M. de la Trousse. Celle-la est une malade, assiégée de vapeurs, aigrie par les souffrances. Ses rudesses, ses défiances, ses reproches ne viennent pas d’un excès d’amitié, mais d’un caractère morose et d’une déplorable santé. Madame de Sévigné se plaignait d’elle quelquefois, mais la traitait avec beaucoup de ménagements et lui rendait charitablement de grands soins pour l’amour de la parenté, et aussi pour l’amour de sa fille ; car mademoiselle de Méri paraît avoir été l’amie de madame de Grignan, plutôt encore que de madame de Sévigné. Après un départ de madame de Grignan, il faut la prendre en pitié, tant elle en est accablée et

  1. Lettre à madame de Grignan 8 juin 1677.