bien ; et si je croyois qu’il fût en nous de ranger, de déranger,
de faire, de ne pas faire, de vouloir une chose ou une autre,
je ne penserois pas à trouver un moment de repos[1]. » Elle avait
fini par prendre l’habitude de ne plus parler d’un de ses projets, sans ajouter : S’il plaît à Dieu. Ce n’était pas une formule
banale ; ce n’était pas uniquement non plus l’expression d’une
foi pieuse, c’était une précaution contre la destinée qu’il ne faut
pas défier. Car « elle tremblait toujours sous la main de la Providence[2], » et craignait d’irriter sa jalousie, si elle avant l’air de
compter sans elle : « Je n’ose m’abandonner, écrivait-elle à sa
fille, à toute la joie que me donne la pensée de vous embrasser ;
je la cache, je la mitonne, j’en fais un mystère, afin de ne point
donner d’envie à la fortune de me traverser : quand je dis la
fortune, vous m’entendez bien. Ne disons donc rien, chère
bonne ; soyons modestes, n’attirons rien sur nos petites prospérités[3]. » Qui de nous n’a quelquefois senti au fond du cœur de
semblables craintes ? Ne jugeons pas avec une philosophie trop
sévère, et peut-être trop présomptueuse, ce tremblement de
madame de Sévigné devant une force si supérieure à nous. Ne
nous étonnons point surtout de l’effet qu’avaient produit sur une
imagination et une sensibilité telle que la sienne, tous ces problèmes, agités devant elle, sur les mystères les plus profonds
de la Providence divine et de notre liberté.
Nous venons d’ouvrir une bien longue parenthèse sur les amitiés de madame de Sévigné, sur ses occupations, ses goûts, ses sentiments. Nous voudrions que cette digression ne parût pas tout à fait hors de sa place. Il nous a semblé qu’ayant eu à parler beaucoup déjà de sa correspondance avec sa fille, il ne fallait pas différer davantage à montrer sommairement tout ce qui était, avec l’événement du jour et les effusions de tendresse, le sujet ordinaire de cette correspondance. Nous allons maintenant retrouver madame de Sévigné à son retour de Provence, en octobre 1673, qui est le temps où nous l’avons laissée.
Après s’être arrêtée quelques jours à Bourbilly, pour y régler ses affaires, elle arrivait à Paris le 1er novembre. Elle avait