emporté de Provence l’espoir consolant de revoir sa fille, qui
avait promis d’aller la rejoindre, la priant de ne pas s’affliger
pour plus de trois mois. Madame de Sévigné n’épargna rien
dans ses lettres, pour l’engager à tenir sa promesse. Elle ne
faisait pas seulement valoir les droits de sa tendresse, mais
l’intérêt même de madame de Grignan. Elle invoquait le témoignage de la Garde et de Pomponne, à qui ce voyage paraissait nécessaire pour les affaires de Provence. Elle alléguait
aussi le compte de tutelle qu’elle avait à rendre à ses enfants
et qui exigeait la présence auprès d’elle de son fils et de sa
fille. Un moment elle alla jusqu’à se flatter de l’espérance d’un
bonheur beaucoup plus grand que celui d’une réunion passagère. Elle écrivait à sa fille, en décembre 1673, qu’on
avait fort parlé d’elle pour être dame du palais. Mais l’empressement de madame de Grignan n’était pas égal à celui de sa
mère, à qui elle faisait craindre l’ajournement de son voyage.
Les raisons qu’on lui donnait, pour lui démontrer la nécessité
de venir, ne lui semblaient pas très-décisives ; et puis elle pensait qu’un voyage à Paris serait bien coûteux. Elle demandait
en propres termes à sa mère, cc s’il était possible qu’elle, qui
devrait songer plus qu’une autre à la suite de sa vie, la voulût
embarquer dans une excessive dépense qui pourrait donner un
grand ébranlement au poids qu’elle soutenait déjà avec peine[1]. »
Madame de Sévigné avait beaucoup de mal à comprendre ce
prudent calcul d’économie, lorsqu’elle avait été témoin de ce
que madame de Grignan dépensait à Aix en comédiens, en fêtes
et en repas. Elle répondit avec une résignation qui ne dissimulait pas la blessure : « Non, mon enfant, je ne veux point vous
faire tant de mal, Dieu m’en garde ; et pendant que vous êtes la
raison, la sagesse et la philosophie même, je ne veux point
qu’on me puisse accuser d’être une mère folle, injuste et frivole... Vous ne trouvez pas que cela soit ni bon ni vrai, je cède
à la nécessité et à la force de vos raisons. Je veux tâcher de
m’y soumettre à votre exemple, et je prendrai cette douleur,
qui n’est pas médiocre, comme une pénitence que Dieu veut
que je fasse et que j’ai bien méritée... Voilà qui est fini, je ne
- ↑ Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, du 28 décembre 1673.