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NOTICE BIOGRAPHIQUE


quets, et causer « avec ses Hamadryades. » Madame de Sévigné aimait mieux encore la société de sa fille, et disait poétiquement à ses jardins de Livry :


Non, quoi que vous ayez, vous n’avez point Caliste,
Et moi, je ne vois rien quand je ne la vois pas.


Elle s’était cependant rendue à son désir ; mais elle ne put s’empêcher de lui écrire : « Les excès de liberté que vous me donnez me blessent le cœur[1]. »

Malgré ces pénibles désaccords, qui se renouvelaient trop fréquemment entre la fille et la mère, entre la philosophie et l’amour, le moment de se quitter était toujours douloureux. Il arriva enfin en mai 1675. Le 24 de ce mois, madame de Sévigné accompagna jusqu’à Fontainebleau sa fille qui retournait en Provence. La pauvre mère n’était pas plus aguerrie qu’au jour de la première séparation. Quant à madame de Grignan, elle était venue la veille du départ « lui souffler une bouffée de philosophie[2]. » À Fontainebleau, sa philosophie et son courage se soutinrent, et ses paroles ne furent pas moins fermes. Il parut pourtant à madame de Sévigné qu’elle était un peu touchée en l’embrassant[3]. Les premières lettres qu’elle reçut renfermaient quelques excuses sur les chagrins que madame de Grignan lui avait involontairement causés, sur les larmes qu’elle avait fait couler. Elle répondit : « Je vous conjure, ma fille, d’être persuadée que vous n’avez manqué à rien ; une de vos réflexions pourroit effacer des crimes, à plus forte raison des choses si légères qu’il n’y a que vous et moi qui soyons capables de les remarquer... Ne soyez jamais en peine de ceux qui ont le don des larmes[4]. »

À peine séparée de sa fille, madame de Sévigné dut songer, bien malgré elle, à mettre entre elle-même et la Provence une plus grande distance encore. Le soin de ses affaires réclamait sa présence en Bretagne. Le bon abbé insistait sur la nécessité du voyage. Elle ne s’y pouvait soustraire, quoiqu’elle craignît beaucoup que son commerce de lettres n’en fût tout dégingandé, et qu’il lui semblât que c’était une rage de laisser la

  1. Lettre du 1er juin 1674.
  2. Lettre du 5 juin 1675.
  3. Lettre du 27 mai 1675.
  4. Lettre du 29 mai 1675.