France entière entre elle et sa fille. Ce projet de voyage dont
elle parlait dès le mois de juin, dans chacune de ses lettres, fut
différé pendant quelques mois. Les troubles très-graves qui
éclatèrent dans la Bretagne en cette année 1675, furent la
cause de ce retard. Madame de Sévigné qui, avant son départ,
avait intérêt à se tenir bien au courant des désordres et des
malheurs de cette province, et qui en eut ensuite le triste
spectacle sous les yeux, en a beaucoup entretenu madame de
Grignan. Ses lettres de ce temps sont devenues des pages d’histoire fort instructives. Cependant, n’ayant à nous occuper que
de la vie de madame de Sévigné et non de tous les sujets
si variés qu’elle passe en revue dans sa correspondance, nous
parlerions à peine sommairement, et pour mémoire, de cet
intéressant épisode des affaires de Bretagne, s’il n’était étroitement lié avec l’histoire même de madame de Sévigné et
de quelques-uns de ses plus intimes amis, et s’il n’avait donné
lieu à beaucoup d’accusations contre son caractère, en même
temps qu’à beaucoup d’apologies présentées par ses défenseurs.
Pour bien comprendre ce que madame de Sévigné a écrit sur les cruels traitements dont la Bretagne fut alors accablée, il faut savoir à quel point de vue elle était placée pour en juger, quelles étaient ses relations avec ce pays, quelles liaisons elle y avait avec ceux qui le gouvernaient. Remontons pour cela jusqu’à son séjour en Bretagne, pendant la tenue des états à Vitré en 1671.
Lorsqu’en cette année 1671 elle partit pour ses Rochers, ne voulant pas se soustraire à la grande représentation à laquelle la réunion des états obligeait, en Bretagne, toutes les personnes riches et d’un rang élevé, elle avait déjà beaucoup connu à Paris la duchesse de Chaulnes, dont le mari avait été, l’année précédente, nommé gouverneur de la province. Elle allait fréquemment voir la duchesse dans son magnifique hôtel de la Place-Royale. En même temps, le marquis de Lavardin, lieutenant général de Bretagne, était fils d’une de ses meilleures amies, dont nous avons précédemment parlé. C’était chez lui que madame de Sévigné, avant d’arriver aux Rochers, s’arrêtait à Malicorne. Elle était fort liée aussi avec le trésorier des états, d’Harouys, veuf, comme nous l’avons déjà dit, d’une fille de