Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
189
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


elle y fut, dit-elle, régalée en reine par M. d’Harouys, parti avant elle, et par M. de Lavardin. Le 24, elle était à la Seilleraye[1], dans le château de M. d’Harouys. De là, elle mandait à sa fille ce qu’elle entendait raconter : « Nos pauvres Bas-Bretons s’attroupent quarante, cinquante par les champs ; et dès qu’ils voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea culpa ; c’est le seul mot de français qu’ils sachent... On ne laisse pas de pendre ces pauvres Bas-Bretons ; ils demandent à boire et du tabac, et qu’on les dépêche[2]. » Enfin, elle revit ses chers bois des Rochers, qui lui parurent plus beaux que jamais. Dans cette paisible solitude, où elle aimait à promener ses rêveries, on pourrait l’accuser d’une indifférence beaucoup trop résignée aux malheurs qui désolaient la Bretagne autour d’elle, lorsqu’elle écrivait à Bussy : « Je trouve tout fort bon, pourvu que les quatre mille hommes qui sont à Rennes, sous MM. de Forbin et de Vins, ne m’empêchent point de me promener dans mes bois, qui sont d’une hauteur et d’une beauté merveilleuses[3]. » C’est ainsi qu’un poëte de nos jours a dit :


Pourvu qu’on dorme encore au milieu du tapage,
C’est tout ce qu’il me faut.


Mais, chez madame de Sévigné, cette apparence d’insensibilité tromperait. « Je trouve tout fort bon » était une manière de parler ; et dans ce calme où elle se retranchait, il y avait moins d’apathie que de dégoût. Car, le même jour, elle écrivait à sa fille que M. de Chaulnes, qui était à Rennes avec ses quatre mille hommes, avait ruiné cette ville, et du même coup, la province entière, par la translation du parlement à Vannes, et elle ajoutait : « Il s’en faut beaucoup que j’aie peur de ces troupes ; mais je prends part à la tristesse et à la désolation de toute la province. On ne croit pas que nous ayons d’états, et si on les tient, ce sera encore pour racheter les édits que nous rachetâmes deux millions cinq cent mille livres il y a deux ans,

  1. Le château de la Seilleraye, à quatorze kilomètres à l’est de Nantes, dans le canton de Carquefou, s’élève sur le versant d’un coteau au bas duquel coule le ruisseau de la Seille. Le Nôtre en avait dessiné les jardins.
  2. Lettre du 24 septembre 1675.
  3. Lettre du 20 octobre 1675.