et qu’on nous a tous redonnés, et on y ajoutera peut-être de
mettre à prix le retour du parlement à Rennes... Me voilà bien
Bretonne, comme vous voyez ; mais vous comprenez bien que
cela tient à l’air que l’on respire, et aussi à quelque chose de
plus ; car, de l’un à l’autre, toute la province est affligée. »
Certes, pour une femme si intime amie des gouverneurs, voilà
des sentiments qui ne manquent pas de liberté. Nous nous
demandons si beaucoup de personnes, ayant la même situation qu’elle et les mêmes relations familières, particulièrement
dans ce temps-là, auraient pensé et parlé avec autant d’indépendance, avec autant de répugnance pour l’injustice. De notre
temps, où l’on est volontiers sévère pour le dix-septième siècle,
bien des personnes ont été mécontentes de ces lettres écrites
de Bretagne en 1675. Mais si elles avaient été lues par les
ministres du roi, ou même par M. de Chaulnes, croit-on qu’ils
en eussent été plus contents ? Si madame de Sévigné n’eût songé
qu’à elle-même, elle eût pu se tenir pour satisfaite. On l’épargnait pour les contributions. Elle écrivait qu’elle était assurée
des ménagements de M. de Chaulnes pour sa terre de Sévigné,
qui était aux portes de Rennes. Madame de Chaulnes la comblait de politesses, n’oubliait rien pour conquérir son approbation, et, comme sentant le besoin de se justifier, lui expliquait toute la conduite du gouvernement de Bretagne depuis
six mois. « Elle sait, écrivait madame de Sévigné, que je trafique en plusieurs endroits, et que je pouvois avoir été instruite
pas des gens qui m’auroient dit le contraire : je la remerciai
de sa confiance, et de l’honneur qu’elle me faisoit de me vouloir instruire. En un mot, cette province a grand tort ; mais elle
est rudement punie[1]. » À moins que nous ne comprenions bien
mal, l’apologie de madame de Chaulnes avait été peine perdue.
Mais lisons, dans une lettre suivante, le tableau des cruelles
exécutions de Rennes. C’est une page d’histoire à la façon de
celles qui sont écrites, comme on dit, pour narrer, non pour
prouver, mais qui ne s’en font pas moins bien entendre. « Il y a
présentement cinq mille hommes à Rennes ; car il en est encore
venu de Nantes. On a fait une taxe de cent mille écus sur les
bourgeois ; et si on ne trouve point cette somme dans vingt-
- ↑ Lettre à madame de Grignan 27 octobre 1675.